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Le papiamentu
Page élaborée par Bart Jacobs, doctorant à l’Université de Munich (LIPP – Linguistisches Internationales Promotions Programm), en cotutelle avec l’Université de Coimbra.
Données sur la langue Papiamentu
Noms alternatifs : papiamento (sur l’île d’Aruba) ; papiamen (sur l’île de Bonaire) ; papiaments (appellation néerlandaise).
Classification :
Le papiamentu est un créole dont la classification en tant que créole de base portugaise selon certains, espagnole selon d’autres, alimente les débats entre linguistes. Un désaccord principalement dû au mélange de vocabulaire portugais et espagnol dont est composé le papiamentu.
Martinus (1996), Quint (2000) et Jacobs (2009) ont révélé des liens linguistiques avec les créoles de base portugaise de Haute Guinée, tels que ceux parlés sur les îles du Cap Vert, ainsi qu’en Guinée-Bissau et en Casamance. La nature de ces liens a valu au papiamentu d’être classé sous la branche des créoles portugais de Haute Guinée. Quint propose pour cette branche l’appellation française de Créoles Afro-Portugais de l’Afrique de l’Ouest.
Principaux dialectes :
D’une façon générale, le papiamentu se divise en trois dialectes correspondant aux trois îles sur lesquelles il est parlé : papiamentu, Curaçao (/ Curaçoleño : approximativement 120000 locuteurs) ; papiamento, Aruba (/ Arubiano : appr. 60000 locuteurs) ; Papiamen, Bonaire (/Boneriano : appr. 10000 locuteurs). Les différences dialectales concernent le lexique, la phonologie et (quoique plus rarement) la morphosyntaxe, sans pour autant affecter l’intelligibilité mutuelle existante entre ses trois variantes.
Il n’existe à ce jour aucune étude consacrée exclusivement à la description de ces variantes dialectales. Les grammaires papiamentu (cf. Ressources) sont toutes basées sur le dialecte de Willemstad, capitale de Curaçao. Mais les quelques dictionnaires mentionnés plus bas comportent tout de même des spécifications dialectales.
Aire géographique :
Le papiamentu est la langue officielle des îles Leeward, dans les Antilles Néerlandaises (Bonaire et Curaçao), et de l’île d’Aruba (indépendante depuis 1986). Ces trois îles, souvent désignées îles ABC, se situent à environ 60km des côtes Vénézuéliennes et s’étendent sur environ 931 km² (Curaçao 444km² ; Bonaire 294 km² ; Aruba 193 km² – source : Wikipédia). Le papiamentu est également parlé par une infime minorité d’immigrants aux Pays-Bas.
Nombre de locuteurs :
On estime à environ 270000 le nombre de locuteurs de langue maternelle papiamentu parmi lesquels 70000 vivent aux Pays-Bas, et les 200000 autres sur les îles ABC (Kouwenberg 2004).
Statut officiel :
Le papiamentu est, avec l’anglais et le néerlandais, la langue officielle de l’île d’Aruba (depuis 2003), de Bonaire et de Curaçao (depuis 2007). Son usage est quotidien dans les rues et les foyers des îles ABC.
Vitalité & transmission
En comparaison à la plupart des créoles, le papiamentu jouit d’une popularité très élevée parmi ses locuteurs et n’est aucunement menacé d’extinction. Journaux, radios et programmes de télévision écrits ou présentés en papiamentu font partie du quotidien des îles ABC. Quelques ressources en ligne figurent au bas de cet article.
La Fundashon pa Planifikashon di Idioma (www.fpi.an), créée en 1998 et établie à Willemstad, est vouée à la planification et à la promotion des langues au sens le plus large. Elle a permis entre autres la restauration, la reproduction et la mise à disposition pour la recherche d’écrits évangéliques en papiamentu datant du XIXème/début du XXème siècle.
« En 1987, à Willemstad, l’auteur et linguiste Frank Martinus Arion fonde le Kolegio Erasmo, première école primaire à proposer un programme scolaire entièrement délivré en papiamentu (cf. Kouwenberg 2004:2107). Néanmoins, l’éducation sur les îles ABC est dispensée principalement en néerlandais, dont la maîtrise est considérée comme pré-requis au bien-être économique.
De nombreux romans, nouvelles et poèmes en papiamentu ont vu le jour depuis les années 50. Anthologie la plus complète à ce jour, Berry-Haseth & Broek (1998) est une étude de la littérature papiamentu en trois volumes. Et Broek (2009) offre un tour d’horizon des tendances et des courants littéraires contemporains des îles ABC.
On relèvera deux publications, Reinecke (1975 : 147-209 ; avec la participation de Frank Martinus Arion), et surtout Coomans-Eustatia (2005), car elles comportent des bibliographies exhaustives de la langue papiamentu (y compris des publications littéraires, linguistiques, sociolinguistiques ou historiques). La bibliothèque du KITLV / Royal Netherlands Institute of Southeast Asian and Caribbean Studies possède la collection de ressources en papiamentu (universitaires ou publiques) la plus riche au monde.
Précisions historiques et ethnographiques
L’année 1499 est reconnue comme celle de la découverte des îles ABC par l’Espagne qui ne s’est toutefois installé que partiellement, et n’a jamais procédé à une colonisation active de ces îles (vraisemblablement surnommées Las Islas Inútiles). L’année officielle de la conquête de Curaçao par les Hollandais est 1634. Les quelques hispaniques installés sur l’île regagnèrent alors les côtes Vénézuéliennes de leur plein gré, tandis qu’une poignée d’autochtones Amérindiens fût autorisée à demeurer sur les îles pour faire de l’élevage et exploiter le bois de teinture.
Les années 1650 voient l’avènement de politiques d’implantation actives, y compris l’importation massive d’esclaves. L’esclavage sera officiellement aboli en 1863. Le manque d’archives rend incertaine l’origine exacte des esclaves importés au cours du XVIIème, mais les chercheurs s’accordent que les régions du Ghana, du Congo et de l’Angola ont fourni la majeure partie de la main d’œuvre importée sur l’île de Curaçao au cours du XVIIIème.
Alors que les catholiques et les protestants néerlandais ont toujours constitué la minorité non-africaine la plus importante, les populations des îles ABC ont de surcroît subi un afflux abondant d’immigrants venus d’Amérique Latine, et de juifs séfarades venus d’Espagne, du Portugal, d’Italie ou de Hollande. La densité des réseaux inter-Caraïbes a par ailleurs ouvert la voie à un flux constant de migrants d’origines et d’appartenances ethniques diverses. Inutile de préciser que toutes ces origines ont contribué (et continuent à contribuer) au développement et à l’identité de la culture créole des populations des îles ABC.
Spécificités linguistiques
Comme dans la plupart des langues créoles, les verbes en papiamentu ne se conjuguent pas. Temps, tons, et relations d’aspect s’expriment donc par l’usage de particules préverbales.
L’ordre des mots dans la phrase suit le schéma Sujet-Verbe-Objet. Et contrairement à ses principales langues donatrices – l’espagnol et le portugais – le papiamentu fait usage commun des pronoms, et n’opère pas d’accords sur le genre.
Le vocabulaire papiamentu découle principalement (par ordre d’importance) : de l’espagnol, du portugais, du néerlandais, de l’anglais, du français, et de langues africaines. Un exemple parlant est celui du pronom pluriel à la troisième personne, nan (probablement d’origine africaine), également utilisé comme marqueur du pluriel post-nominal, ex. kas ‘maison’ > kasnan ‘maisons’. Le papiamentu se caractérise aussi, tant à l’écrit qu’à l’oral, par l’usage d’un discours passif basé sur l’auxiliaire (comme c’est le cas dans de nombreuses langues parlées en Europe) résultant d’un phénomène de décréolisation au profit du néerlandais et de l’espagnol.
Quelques mots en papiamentu
Soño liberNa pia di trapi di e kastio blanku riba seru nos dos a mira luna kologá na su pantaya blou sereno…, su amigunan den konsierto kinipí wowo ku laman di plata…, i nan a inspirá nos pa skirbi e libreto. Pa karga nos historia un músiko franses bisiña a krea muzik euro-karibeño, skohe mas artista krioyo na disfras di siglo bintiunu i monta na Monte Tamarindo un ópera eksepshonal. Den e último parti di e di kuater esena, nos ta kanta un dueto, konta di un kastio nobo riba seru kaminda na su pia, tur anochi laman ta zoya melodia pa nos soña otro soño liber. |
Rêves libresSur les toutes premières marches du château blanc sur la colline, lui et moi virent la lune suspendue à son ciel bleu et serein…, les clins d’œil accordés de ses amies sur la mer argentée…, et elles nous inspirèrent l’écriture du livret. Pour illustrer notre histoire, un voisin musicien, français, a composé une musique euro-caribéenne et sélectionné de nombreux artistes créoles pour aller jouer en costume contemporain à la Colline des Tamarins, un opéra hors du commun. Dans la dernière partie de la quatrième scène, nous chantons un duo à propos d’un nouveau château sur la colline aux flancs de laquelle, chaque nuit la mer se berce au son des mélodies, et nous fait rêver un nouveau rêve libre. |
Lucille Berry-Haseth Curaçao
Sources & bibliographie
Grammaires officielles et esquisses grammaticales
Kouwenberg, Silvia & Eric Murray. 1994. Papiamentu. Munich: Lincom.
Kouwenberg, Silvia & Abigail Ramos-Michel. 2007. “Papiamentu (Creole Spanish/Portuguese)”. Dans: John A. Holm & Peter L. Patrick (eds.): Comparative Creole Syntax. Westminster: Battlebridge, pp. 307-332.
Lenz, Rodolfo. 1928. El papiamento: la lengua criolla de Curazao. Santiago de Chile: Balcells & Cia.
Maurer, Philippe. 1988. Les modifications temporelles et modales du verbe dans le papiamento de Curaçao (Antilles Néerlandaises). Hamburg: Helmut Buske.
Maurer, Philippe. 1998. “El papiamentu de Curazao”. Dans: Matthias Perl & Armin Schwegler (eds.): América Negra: panorámica actual de los estudios lingüísticos sobre variedades hispanas, portuguesas y criollas. Frankfurt am Main: Vervuert, pp. 139-217.
Munteanu, Dan. 1996. El papiamento, lengua criolla hispánica. Madrid: Gredos.
Dictionnaires
Joubert, Sidney. 2007. Handwoordenboek Nederlands-Papiaments. Willemstad: Joubert.
Ratzlaff, Betty. 1992. Dikshonario Papiamentu – Ingles Dikshonario. Bonaire: TWA Dictionary Foundation.
Van Putte, Florimon & Igma van Putte-de Windt. 2005. Dikshonario Papiamentu-Hulandes. Woordenboek Papiaments-Nederlands. 2 volumes. Zutphen: Walburg Pers.
Autres ressources mentionnées dans cet article
Berry-Haseth, Lucille & Aart G. Broek. 1998. Pa Saka Kara. 3 volumes. Willemstad: Fundashon Pierre Lauffer.
Broek, Aart G. 2009. The Colour of my Island. Haarlem: In de Knipscheer.
Coomans-Eustatia, Maritza. 2005. Bibliography of the Papiamento Language. Bloemendaal: Stichting Libri Antilliani.
Jacobs, Bart. 2008. Papiamentu: A diachronic analysis of its core morphology. Phrasis 2008 (2), 59-82.
Jacobs, Bart. 2009a. “The Upper Guinea origins of Papiamentu. Linguistic and historical evidence”. Diachronica 26:3, pp. 319-379.
Jacobs, Bart. 2009b. The origins of Old Portuguese features in Papiamentu. Dans: Nicholas Faraclas, Ronald Severing, Christa Weijer & Liesbeth Echteld (eds.), Leeward voices: Fresh perspectives on Papiamentu and the literatures and cultures of the ABC Islands. Volume 1, 11-38. Curaçao: FPI/ UNA.
Jacobs, Bart. 2009c. Papiamentu’s Swadesh-100-list. Paper presented at the The Swadesh Centenary Conference 17-18 January 2009, Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology, Leipzig (Germany). Article consultable en ligne.
Jacobs, Bart. Forthcoming a. Los verbos estivos en el papiamento y el caboverdiano de Santiago. Revista Internacional de Lingüística Iberoamericana (RILI). A paraître en 2010.
Jacobs, Bart. Forthcoming b. On the Dutch presence in 17th century Senegambia and the emergence of Papiamentu. Dans: Proceedings of the Brokers of Change Conference: Atlantic Commerce and Cultures in Pre-Colonial “Guinea of Cape Verde”. Birmingham: Centre of West African Studies, University of Birmingham. A paraître en 2010.
Jacobs, Bart. Forthcoming c. Upper Guinea Portuguese Creole: Evidence in favor of a Santiago birth. Journal of Pidgin and Creole Languages, 25:2, 2010.
Jacobs, Bart. Forthcoming d. Review of L’élément africain dans la langue capverdienne. Africanismos na língua caboverdiana, de Nicolas Quint (2008). Journal of Pidgin and Creole Languages.
Kouwenberg, Silvia. 2004. “The Dutch-speaking Caribbean”. Dans: Ulrich Ammon, Norbert Dittmar, Klaus J. Mattheier & Peter Trudgill (eds.): Sociolinguistics. An international handbook of the science of language and society. Volume 3. Berlin, New York: Mouton de Gruyter, pp. 2105-2114.
Martinus, Efraim Frank. 1996. The Kiss of a Slave: Papiamentu’s West-African Connections. Ph.D. dissertation. Universiteit van Amsterdam.
Quint, Nicolas. 2000. Le Cap Verdien: Origines et Devenir d’une Langue Métisse. Paris: L’Harmattan.
Reinecke, John E. 1975. A Bibliography of Pidgin and Creole Languages. Hawaii: University Press.
Ressources en ligne
Journaux en papiamentu :
Radio:
Lexique :
Encyclopédie :
http://www.curacao-encyclopedia.com/
Si vous avez des informations complémentaires sur cette langue n'hésitez pas à nous contacter : contact@sorosoro.org