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Le korandjé
Page réalisée par Lameen Souag, chercheur post-doctorant, School of Oriental and African Studies (Londres), 2011.
Données sur la langue korandjé
Noms alternatifs : kʷạṛa n dzyəy (litt. langue de la village), belbali
Classification : songhay septentrional
Principaux dialectes : Il y a quelques petites différences entre les parlers des deux principaux villages, Kʷạṛa (Zaouïa) et Ifrənyu (Cheraïa.)
Aire géographique : L’oasis de Tabelbala, au sud-ouest de l’Algérie entre Béchar et Tindouf.
Nombre de locuteurs : ~3000 (la population de l’oasis sans compter le village arabophone du centre.)
Statut de la langue : Langue de communication sans statut officiel.
Vitalité et Transmission : En danger ; la plupart des parents ne parlent plus la langue avec leurs enfants, l’abandonnant au profit de l’arabe. Mais elle est encore parlée par tout Belbali (habitants de l’oasis de Tabelbala) de souche dépassant l’âge de 35 ans et par la majorité de ceux qui ont dépassé 15 ans ; on constate même que les enfants l’apprennent souvent de leurs amis un peu plus âgés.
Médias, littérature et enseignement : Le korandjé n’est pas enseigné, et aucun livre n’a été imprimé en korandjé, mais il est écrit de temps en temps pour des messages personnels. Il existe quelques chansons qui se vendent localement sur cassette.
Précisions historiques
La présence d’une langue songhay septentrionale aussi loin de son lieu d’origine reste mystérieuse, mais c’est probablement un résultat de l’expansion du commerce entre Tombouctou et Sijilmassa autour du XIIIème siècle, qui aurait développé une agriculture dans les oasis situés sur cette route pour nourrir les voyageurs. C’est probablement de cette époque que datent les quelques emprunts que le korandjé doit à un parler berbère très proche au zénaga de Mauritanie. Aux siècles suivants Tabelbala a connu une certaine croissance, et un savant bien connu pour ses fatwas sur l’esclavage, Sidi Makhlouf ben Ali el-Belbali (mort après 1533) y a vu le jour. Après la chute du commerce au XVIème siècle, le rôle de l’oasis a diminué ; mais ceux qui y ont resté ont continué à parler le korandjé jusqu’à aujourd’hui, et elle est même devenue la langue maternelle d’un grand nombre de familles arabes et berbères.
Précisions ethnographiques
Selon ses traditions, les Belbalis sont d’origines très diverses – arabes, berbères, d’Afrique noire, etc. Ils sont tous musulmans, et l’ancienneté de leur croyance est confirmé par le fait qu’un grand nombre de termes religieux sont des emprunts berbères (p. ex. tsizbəṛṛən « prière de Dhuhr », tsakʷẓẓən « prière de Asr ») ou même retenus du songhay (həymu « jeûner », gənga « prier ».) Comme les autres habitants des oasis de la région, ils sont des agriculteurs sédentaires qui cultivent surtout le palmier-dattier, souvent irrigué par des longs canaux souterrains (les foggaras), et ils habitaient dans les villages fortifiés, les ksars, jusqu’au milieu du XXème siècle. Auparavant ils ont aussi pratiqué la chasse, notamment des autruches (disparus depuis presque un siècle) et des gazelles. Champault (1969) a rédigé une ethnographie de Tabelbala.
Précisions sociolinguistiques
Le korandjé a des partisans qui y voient une partie importante de leur héritage, mais en général le korandjé est un peu mal aperçu à Tabelbal; ses détracteurs, dont même quelques Belbalis, la considèrent comme une barrière à l’enseignement, inintelligible hors de l’oasis et inutile même dans l’oasis. Sa fonction essentielle de lien social de la communauté Belbalie a été érodée par le manque de développement économique dans l’oasis, par les divisions internes, et par l’immigration.
Précisions linguistiques
Le korandjé a subi des grands changements phonétiques par rapport au songhay originel, notamment la perte de ton, qui a créé beaucoup d’homophones ; l’emprunt des pharyngales et emphatiques ; l’affrication des occlusives dentales ; la perte de /r/ au fin de la syllabe, qui a transformé la système vocalique ; et le changement de /l/ en /r/.
Le korandjé est très profondément influencé par le berbère et l’arabe ; les mots les plus fondamentaux sont d’origine songhay, mais la plupart des mots ne le sont pas. Par exemple seul les nombres de 1 à 3 sont d’origine songhay (affu, inka, inẓa) ; tout le reste vient de l’arabe (ṛəbʕa, xəmsa, səttsa…) Les couleurs, noir (bibəy), blanc (kwạṛəy), et rouge (tsirəy) sont d’origine songhay ; jaune (yạṛa), bleu/vert (zəgzəg), et gris (gʷəḍṛạ) sont d’origine berbère ; et vert (ləxḍəṛ) et couleur henné (ħənnawi) sont d’origine arabe. Les pluriels berbères et arabes sont retenus et de temps en temps même étendus aux mots d’origine songhay (p. ex. tsạṛə̣w « cuillière », pl. tsiṛawən), et le factitif arabe est productif pour les emprunts arabes (donc p. ex. yəxwa « être vide » devient xəwwa « vider ».) Même la syntaxe est influencée ; par exemple, l’accord est devenu quasi-obligatoire entre le verbe et le sujet, et les nombres au-dessus de 10 sont typiquement placé avant le nom (ʕašrin (n) ạṛu « vingt (de) homme »), traits normals en arabe et berbère mais impossibles dans les songhay méridionaux.
D’une perspective typologique, le korandjé ressemble beaucoup aux autres langues songhay septentrionales : il utilise l’ordre sujet-verbe-objet, génitif-nom, nom-adjectif, et autorise les prépositions et les postpositions. Mais elle est la seule langue connue du monde qui place obligatoirement le numéro entre le nom et l’adjectif (pour les numéros 1-10) : p. ex. ạḍṛạ inẓa bya-ɣ-yu (montagne trois grand-ce-pl.) « ces trois grandes montagnes ». Un autre phénomène remarquable est l’accord de la préposition comitatif indza « avec » avec le sujet, p. ex. ʕa-ddər ʕ-indz-a (je-aller je-avec-le) « je suis allé avec lui. »
Exemple :
(Les emprunts arabes sont en rouge, les emprunts berbères en bleu. Imp=Imparfait, Caus=Causatif.)
i-b-yəskʊn |
γir labu n gạ-i-ka, | ħar kʷạṛa zzinu ɣuna. |
ils-Imp-habiter | juste argile Génitif maison-s-dans | comme village ancien cela |
« Ils habitaient seulement les maisons d’argile, comme cet ancien village là. »
iri i-b-gwạ-ndz-a təzzənts-ka, | kikk kaməl əggạ | tsạṛga a-b-zru. |
eau ils-Imp-rester-Caus-le bassin-dans, | nuit complêt Passé | canal il-Imp-courir |
« L’eau, ils la mettaient dans le bassin, toute la nuit le canal coulait. »
Bibliographie
Cancel, Lt. 1908. « Etude sur le dialecte de Tabelbala ». Revue Africaine 270-271. 302-347.
Champault, Francine Dominique. 1969. Une oasis du Sahara nord-occidental : Tabelbala. Paris: CNRS.
Kossmann, Maarten. 2004a. « Mood/Aspect/Negation Morphemes in Tabelbala Songhay (Korandje) ». Afrika und Übersee 87. 131-153.
Souag, Lameen. 2010a. « The Western Berber Stratum in Kwarandzyey », in ed. D. Ibriszimow, M. Kossmann, H. Stroomer, R. Vossen. Études berbères V – Essais sur des variations dialectales et autres articles. Köln: Rüdiger Köppe.
Souag, Lameen. 2010b. Grammatical Contact in the Sahara: Arabic, Berber, and Songhay in Tabelbala and Siwa. Thèse doctorale (SOAS).
Souag, Lameen. fc. « Writing ‘Shelha’ in new media: Emergent non-Arabic literacy in Southwestern Algeria ». Forthcoming in ed. Meikal Mumin and Kees Versteegh, Proceedings of TASIA.
Tilmatine, Mohamed. 1991. « Tabelbala: Eine Songhay Sprachinsel in der Algerischen Sahara », in ed. Daniela Mendel and Ulrike Claudi. Afrikanistische Arbeitspapiere, Sondernmmer: Ägypten im afro-asiatischen Kontext. Cologne: Université de Cologne.
Tilmatine, Mohamed. 1996. « Un parler berbèro-songhay du sud-ouest algérien (Tabelbala): Elements d’histoire et de linguistique ». Etudes et Documents Berbères 14. 163-198.
Liens
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