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Le kalaallisut
Relecture et compléments d’information par Nicole Tersis (directeur de recherche émérite , SEDYL- CNRS) et Jean-Michel Huctin (Université de Versailles), 2011.
Données sur le kalaallisut
Le terme « kalaallisut » signifie littéralement « comme les Groenlandais » (kalaalli-sut : les Groenlandais-comme) et sert à désigner à la fois la langue officielle du Groenland et la variante dialectale parlée sur la côte ouest du Groenland qui a servi de base à la langue officielle. « Kalaallit Nunaat », le pays des groenlandais, est le nom du Groenland en kalaallisut.
Noms alternatif : groenlandais, groenlandais de l’ouest.
Aire géographique : Groenland.
Le Groenland est un territoire autonome rattaché au Danemark, mais il est depuis quelques décennies engagé dans un long processus d’indépendance ayant abouti, en 1979, à une autonomie partielle et, en 2009, à une autonomie renforcée avec un gouvernement autonome. Le Danemark exerce toujours sa souveraineté sur les domaines des relations internationales, sur la défense, et sur la monnaie.
Classification :
Selon M. Fortescue, S. Jacobson et L. Kaplan (1994, 2010) le kalaallisut appartient à la branche « inuit» de la famille des langues inuit- yupik-aléoutes. Plus précisément il fait partie du continuum iñupak-inuktitut-kalaallisut (appelé également inuit) qui s’étend sur un vaste domaine allant de la côte ouest de l’Alaska jusqu’à la côte est du Groenland en longeant les côtes nord-américaines du Canada. Ce continuum regroupe 16 variantes regroupées en 4 aires d’Ouest en Est du domaine : iñupiak, inuktun,inuktitut, kalaallisut (M.Fortescue et al. 2010). Elles sont vues, selon les critères, soit comme des langues très proches, soit comme des dialectes d’une même langue, ce qui est sujet à débat.
Deux de ces variantes ont récemment acquis un statut officiel : l’inuktitut, au Nunavut (Canada) et le kalaallisut au Groenland.
Note : le mot « Eskimo » est considéré comme péjoratif, il est préférable, conformément au souhait de cette population, d’utiliser le terme « Inuit ».
Dialectes et variantes : Au Groenland on peut considérer qu’il y a trois principaux groupes dialectaux inuit :
• Le kalaallisut, ou groenlandais occidental, parlé sur la côte ouest.
• L’avanersuarmiutut (avanersuar-miu-tut : nord-habitant-comme) ou inuktun ou groenlandais du Nord parlé dans la région de Qaanaaq (Thulé)
• Le tunumiutut / tunumiisut (tunu-mii-sut : arrière-habitant-comme) ou groenlandais oriental, parlé sur la côte est, région d’Ammassalik et localité d’Ittoqqortormiit.
C’est le kalaallisut, le groenlandais occidental, la variante de Nuuk, la capitale du Groenland, qui a été désigné comme langue officielle des institutions groenlandaises et de l’éducation.
Le groenlandais de Qaanaaq serait le plus proche de l’inuktitut, langue officielle du Nunavut. Le groenlandais de l’est est le plus divergeant, particulièrement au niveau phonologique.
Le kalaallisut, au sens de groenlandais de l’ouest, est lui-même subdivisé en 6 sous-dialectes mutuellement compréhensibles depuis la région d’Upernavik jusqu’aux dialectes du sud,. . C’est celui de la région « centrale », autour de la capitale Nuuk, qui a servi de standard pour la langue officielle.
Nombre de locuteurs : Les statistiques du Groenland publiées par le « Greenland Home Rules Government » évaluent, pour l’année 2005, la population totale du Groenland à 56 969 personnes, avec 3 577 habitants pour le Groenland de l’est, 850 pour le Groenland du nord et 52 542 pour le Groenland de l’ouest. Il faut tenir compte de la présence de 6 758 étrangers au Groenland et de 12 787 Groenlandais vivant au Danemark.
Enseignement : Le kalaallisut est la langue officielle de l’enseignement au Groenland. Jusque dans les années 70 le danois était la principale langue de l’école. De nos jours, le manque d’enseignants locuteurs de la langue et le fait que de nombreux manuels ne soient pas traduits font qu’il est parfois difficile d’assurer l’enseignement en kalaallisut et l’ancienne langue coloniale reste déterminante dans le parcours scolaire d’un jeune groenlandais, particulièrement dans les niveaux les plus avancées et pour pouvoir aller à l’université du Groenland, Ilisimatusarfik créée en 1984 . Pour plus d’information sur les enjeux actuels de l’éducation au Groenland, voir l’article de Jean-Michel Huctin, sur le blog de Sorosoro.
Littérature : En plus des contes, chants, récits mythologiques ou légendaires de la tradition orale, il existe une littérature publiée au Groenland depuis plus d’un siècle Le premier roman, Sinnattugaq (SingnagtugaK dans l’ancienne orthographe groenlandaise, « le rêve ») de Mathias Storch a été publié en 1914. De nombreux textes furent publiés dans le premier journal d’information Atuagagdliutit / Grønlandsposten (connu aujourd’hui sous le nom d’A/G) à partir de 1860. Les écrivains groenlandais actuels sont regroupés au sein d’une association d’auteurs présidée par Aqqaluk Lynge, par ailleurs président de l’ICC, l’association internationale des Inuit. Quelques ouvrages groenlandais ont été traduits en français tandis que des classiques français ont été publiés au Groenland en kalaallisut (Victor Hugo, Jules Vernes, Albert Camus…).
Au cinéma, « Inuk » (« Le voyage d’Inuk »), coproduction franco-groenlandaise, est le premier film de fiction entièrement en kalaallisut.
Médias : Les deux journaux nationaux (A/G, Sermitsiaq), les sites internet officiels et l’unique chaine de télévision, KNR, sont bilingues kalaallisut/danois.
Statut : Le kalaallisut possède le statut de langue nationale, il est également la langue officielle des institutions groenlandaises depuis l’accession du Groenland au statut d’autonomie interne en 1979. Le Groenland reste cependant essentiellement bilingue (la presse, les musées, la signalétique, les publications institutionnelles, etc. sont traduits en danois).
Vitalité et transmission : Menacé par une situation de diglossie vis-à-vis du danois jusqu’à l’autonomie du Groenland, le kalaallisut est désormais généralement considéré comme l’une des langues de l’Arctique la plus vivace, selon L.J. Dorais (1996) 98% de la population parle sa langue maternelle et ce, même si l’UNESCO la classifie comme langue « menacée ». Sa transmission est assurée et son statut de langue officielle lui garantit un usage et un prestige amenés à s’accroître dans le futur en tant que symbole identitaire.
Comme vu précédemment le Groenland est essentiellement bilingue. Il existe une importante minorité locutrice uniquement de danois et que la majorité des locuteurs de kalaallisut est bilingue en danois, à divers niveaux de compétences.
L’UNESCO considère les variantes groenlandaises du nord et de l’est toutes deux comme « en danger ».
Précisions historiques
Les ancêtres des Eskimo-Aléoutes sont venus d’Asie il y a environ 8000 ans. L’histoire du peuplement du Groenland commence avec l’arrivée des premières migrations inuit en provenance du Canada il y a environ 5000 ans. Différentes civilisations paléo-esquimaudes (Cultures de Saqqaq, Independance et Dorset) se succèdent. En 982, les Vikings islandais s’installent au sud de l’île, fondant le Grønland (« le pays vert »), avant de disparaître à leur tour près de cinq siècles plus tard. La dernière grande migration remonte au début du dernier millénaire, les Inuit de la culture de Thulé (dont les Groenlandais d’aujourd’hui descendent) sont christianisés et colonisés à partir de 1721 par le Danemark qui établit des comptoirs commerciaux le long de la côte ouest, puis à la fin du XIXème siècle sur la côte est.
Après la Seconde Guerre mondiale qui a vu le Groenland se lier avec les États-Unis, le Danemark reprend le contrôle politique de l’île, puis réforme son statut colonial en 1953 pour l’intégrer entièrement à son royaume. Les années 1960-1970 sont celles du développement économique et politique : les infrastructures du Groenland se modernisent et l’autonomie politique interne est acquise en 1979. Six ans plus tard, les Groenlandais décident par référendum de quitter la CEE, notamment pour protéger leurs ressources de pêche, premier revenu du pays. Si le groenlandais de l’ouest, le Kalaallisut, est devenu la langue nationale et officielle du Groenland, le groenlandais du nord et le groenlandais de l’Est n’ont pas de statut officiel à ce jour. Le danois reste très utilisé, témoignant de l’influence toujours importante du Danemark, surtout par l’intermédiaire de sa communauté locale occupant souvent les postes les plus qualifiés. Cependant, le Groenland obtient en 2009 une autonomie renforcée (pouvoir judiciaire et ressources naturelles) ouvrant la voie à une indépendance politique imminente que devrait financer les revenus espérés de l’exploitation pétrolière et de l’extraction des ressources minérales.
Bibliographie
Berthelsen Christian, Birgitte Jacobsen, Robert Petersen, Inge Kleivan et Jørgen Rischel, 2002 (1977 1ère édition), Oqaatsit, Kalaallisuumiit Qallunaatuumut/Grønlandsk Dansk Ordbog, Nuuk, Ilinniusiorfik.
Campbell, Lyle. 1997. American Indian languages: the historical linguistics of Native America. Oxford: Oxford University Press.
Collins, D.R.F., ed. 1990. Arctic Languages: An Awakening. Paris: UNESCO.
Dorais, Louis-Jacques. 1996. La parole inuit: langue, culture et société dans l’Arctique nord-américain. Paris, Peeters.
Dorais, Louis-Jacques. 2010. The Language of the Inuit: Syntax, Semantics, and Society in the Arctic. McGill-Queen’s University Press.
Enel, Catherine. 1984. Eléments de grammaire et de vocabulaire de la langue ouest-groenlandaise. Paris, Laboratoire d’anthropologie du Muséum national d’histoire naturelle.
Fortescue, Michael. 1990. From the Writings of the Greenlanders: Kalaallit Atuakklaannit. University of Alaska Press.
Fortescue Michael, 1997 (1984), West Greenlandic, London-Beckenham, Croom Helm, Croom Helms Descriptive Grammars.
Fortescue Michael, Steven A. Jacobson et Lawrence Kaplan, 2010 (1994 1ère édition), Comparative Eskimo Dictionary with Aleut Cognates, Fairbanks, University of Alaska, Alaska Native Language Center Press, Research Papers 9.
Krupnik, Igor, Claudio Aporta, Shari Gearheard, Gita J. Laidler, & Lene Kielsen Holm, eds. 2010. SIKU: Knowing Our Ice: Documenting Inuit Sea-Ice Knowledge and Use. London : Springer.
Mahieu Marc-Antoine et Nicole Tersis (eds), 2009, Variations on Polysynthesis : The Eskaleut languages, Amsterdam, Johns Benjamins.
Mithun, Marianne. 1999. The languages of native North America. Cambridge, UK: Cambridge University Press.
Sadock, Jerrold. A Grammar of Kalaallisut. Munich: Lincom.
Liens internet
Article de Jean-Michel Huctin (cliquer « Groenland », puis « langue »)
Huctin, Jean-Michel. 2010. Les Inuit du Groenland et les problèmes de l’enseignement des langues
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