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Le dalabon
Page réalisée par Dr Maïa Ponsonnet, Centre de recherche et de documentation sur l’Océanie (CNRS, Marseille) et Australian National University (Canberra).
Données sur la langue dalabon
Noms alternatifs :
Le nom « dalabon », employé par les locuteurs, est aujourd’hui utilisé de manière pratiquement unanime. On trouve toutefois d’autres termes comme ngalkbon, dangbon, ou encore buwan, avec diverses variations orthographiques, dans des articles plus anciens.
Principaux dialectes :
L’état actuel de la langue rend difficile l’étude des dialectes. Les locuteurs évoquent une distinction entre deux styles d’expression, le dalabon-djurrkdjurrk (littéralement, « rapide », « vif ») et le dalabon-murduk (littéralement « fort », c’est-à-dire pour une langue, « articulé »). Mais aucune différence dialectale significative n’a pu être identifiée, et compte tenu du nombre de locuteurs, il est devenu difficile d’aborder ce genre de questions.
Aire géographique :
Aujourd’hui, les locuteurs du dalabon vivent dans les communautés de Weemol, Beswick et Barunga, situées à l’est de la ville de Katherine, dans le Territoire du Nord. Ces communautés se situent dans la région appelée la Terre d’Arnhem, souvent considérée comme un bastion de la culture aborigène, notamment parce qu’elle regroupe surtout des territoires dont la propriété a été légalement « rendue » aux groupes aborigènes.
Par le passé, les locuteurs du dalabon se concentraient autour du site de la future communauté de Weemol et au nord de ce site, c’est-à-dire au sud-est de la Terre d’Arnhem. Au moment de la colonisation de la région par les fermiers, les populations qui vivaient dans cette région ont été déportées vers des settlements (villages créés et gérés par le gouvernement) plus proches de la ville de Katherine. Certains locuteurs sont retournés à Weemol dans les années 1970, d’autres sont restés dans les anciens settlements de Beswick et de Barunga.
Classification :
Le dalabon est une langue australienne de la famille gunwinyguan.
Les linguistes classent les familles de langues australiennes en deux ensembles, d’une part les langues pama-nyugan, les plus nombreuses, et d’autre part les autres, que l’on appelle donc non-pama-nyungan. Le dalabon appartient à la seconde catégorie, moins nombreuse, représentée essentiellement dans le nord du continent.
Nombre de locuteurs :
Si l’on entend par « locuteur » une personne pour qui le dalabon est la première langue maternelle, le nombre de locuteurs du dalabon se réduit aujourd’hui à 3 personnes. Si l’on inclut les personnes qui parlent couramment le dalabon mais qui l’ont appris plus tard, comme deuxième ou troisième langue, le dalabon compte au moins 6 ou 7 locuteurs. Le nombre augmente encore si l’on inclut les semi-locuteurs, qui parlent le dalabon mais pas aussi couramment. On atteint alors probablement une douzaine, y compris des personnes plus jeunes (moins de 40 ans). Enfin, si l’on inclut les locuteurs qui ont des notions de dalabon, qui comprennent la langue au moins en partie, mais ne parlent pas (par timidité, manque de pratique…), le nombre s’élève sans doute à plusieurs dizaines, y compris des jeunes gens d’une vingtaine d’années.
Statut de la langue :
Le dalabon n’a aucun statut officiel, et il n’est pas non plus une langue de communication. Au fil des années, les écoles locales ont accueilli des programmes d’enseignement ponctuels, organisés par le Centre de langue de Katherine (Diwurruwurru-Jaru Corporation, financé par un organe gouvernemental). Mais ces pratiques restent fragiles et le soutien du gouvernement est mitigé (Sur ce sujet voir l’article de Maïa Ponsonnet sur le blog de Sorosoro) Toutefois, le dalabon – comme de nombreuses langues australiennes dans une situation comparable – bénéficie aujourd’hui d’un certain prestige, dans la mesure où il est associé à l’héritage culturel autochtone, souvent mis en valeur à la fois dans le discours officiel (ce qui s’accompagne de quelques financements) et dans une certaine idéologie populaire. Cela constitue un progrès en comparaison de l’époque, avant les années soixante-dix, où les langues locales étaient perçues comme des particularismes sans intérêt, freinant l’intégration des populations autochtones. Néanmoins, les regards portés sur les cultures et les communautés aborigènes demeurent ambivalents, et la diversité linguistique reste trop souvent perçue comme un handicap.
Cette situation s’applique non seulement au dalabon, mais aussi à la plupart des langues aborigènes aussi menacées que le dalabon. En revanche, le dalabon a acquis un statut particulier du point de vue de la recherche. En raison à la fois d’un certain nombre de caractéristiques intéressantes, et de hasards qui ont entraîné un « effet boule de neige », depuis le début des années 2000 le dalabon, n’a cessé d’attirer l’attention d’un nombre croissant de linguistes. Ces chercheurs travaillent aujourd’hui en équipe, suscitant de l’intérêt à la fois dans les réseaux universitaires et parmi la communauté des locuteurs. Le dalabon est donc en train d’acquérir ses lettres de noblesses dans les réseaux de recherche, au même titre que de « grandes » langues australiennes comme le warlpiri par exemple. Pour les locuteurs, semi-locuteurs et locuteurs passifs, l’intérêt de personnes extérieures et le prestige associé ont joué le rôle d’un catalyseur d’enthousiasme, si bien qu’aujourd’hui de plus en plus de membres de la communauté dalabon souhaitent participer au travail de documentation de leur langue.
Vitalité et Transmission :
Le dalabon est une langue très sévèrement menacée, à la fois du point de vue du nombre de locuteurs et de la transmission de la langue. Aucun des locuteurs de langue maternelle n’a moins de 60 ans. Les locuteurs passifs les plus jeunes ont autour de vingt ans, et il est probable que les adolescents plus jeunes ont une connaissance moindre de la langue de leurs grands-parents (ou arrière-grands-parents). Le dalabon a été remplacé par un créole, le kriol (ou plus exactement une variété appelée le Barunga kriol). Aujourd’hui, les descendants des locuteurs du dalabon parlent le kriol, qu’ils revendiquent comme leur langue, et maîtrisent aussi l’anglais qui est parlé à l’école, à la télévision etc.
Les locuteurs actifs du dalabon sont rarement réunis, si bien qu’il y a très peu de conversations spontanées en dalabon. Les locuteurs actifs s’expriment malgré tout en dalabon, « à la ronde » pour ainsi dire, et transmettent ainsi une connaissance de la langue – mais ce mode d’apprentissage reste très limité. À l’heure actuelle, les activités de documentation de la langue constituent un contexte supplémentaire, propice à l’apprentissage du dalabon. Ces activités sont régulières, puisque plusieurs linguistes travaillent dans la région et s’y rendent chacun une ou deux fois par an. En outre, les locuteurs passifs, et même des enfants très jeunes, s’intéressent à ces travaux et insistent pour assister ou participer aux séances.
Médias et littérature :
Le dalabon est totalement absent des médias, y compris des médias locaux ou spécialisés. Comme évoqué ci-dessus, l’enseignement de cette langue dans les écoles reste une pratique instable, et de toute façon ponctuelle. En revanche, des linguistes du Centre de langue de la ville de Katherine ont enregistré et archivé des histoires locales en dalabon, ou encore des vidéos autour des techniques d’artisanat, de collecte de nourriture etc. Les archives audio-visuelles de l’Australian Institute of Aboriginal Studies à Canberra conservent aussi des enregistrements anciens très riches de contenu.
Pour l’instant, ces documents ne sont pas accessibles très facilement, pas plus que le reste des travaux sur le dalabon. Seul le First Dictionary of Dalabon (Evans, Merlan et Tukumba, 2004) a été distribué plus largement. Mais l’équipe des linguistes spécialisés sur le dalabon travaille à la diffusion plus large de ces corpus, notamment grâce à des mises en ligne sur le site de l’Endangered Languages Archive (ELAR, Londres).
Précisions ethnographiques et historiques
Les anciens dalabons revendiquent souvent leur association culturelle traditionnelle avec d’autres groupes linguistiques voisins, nommément les groupes de langues mayali et kune (prononcer « guné »), dialectes de la langue bininj gun-wok (langues gunwinyguan très proches du dalabon, situées historiquement à l’ouest et au nord de la région dalabon), et rembarrnga (langue gunwinyguan d’une autre branche, historiquement à l’est). Les Dalabons partageaient avec ces groupes linguistiques les mythes, les cérémonies, et échangeaient avec eux sur le plan rituel, matrimonial etc.
Dans la première moitié du XXe siècle, la colonisation et le déplacement des populations vers des settlements (villages créés et gérés par le gouvernement) a modifié la structure de ces réseaux culturels, regroupant Mayalis, Rembarrngas, Jawoyns et Dalabons dans les mêmes villages. Le mayali a gagné en locuteurs et en prestige, acquérant le statut de langue franche dans la région. Les Jawoyns (langue gunwinyguan d’une autre branche, historiquement au sud-ouest du dalabon) ont également bénéficié d’une valorisation culturelle et politique. Les Dalabons, en revanche, sont restés relativement en retrait. Aujourd’hui, les locuteurs du dalabon manifestent une fierté prononcée relativement à la spécificité de leur langue, à l’intérêt que lui portent les linguistes, et à sa valeur culturelle.
Dans les années 1970, un tournant des politiques gouvernementales a permis aux Dalabons de retourner sur les terres traditionnelles, créant la communauté de Weemol. Cette communauté, très petite (moins de 100 habitants), accueillait à l’époque toute une génération de locuteurs de langue maternelle dalabon, qui échangeaient entre eux essentiellement dans leur langue, réservant le kriol aux échanges avec les plus jeunes. Ces locuteurs ont disparu un à un au fil des années 1990, laissant seuls quelques locuteurs isolés, qui depuis n’ont plus que rarement l’occasion d’échanger dans leur langue.
Précisions ethnographiques
Il n’existe pas de monographies sur les Dalabons. L’anthropologue australien Kenneth Maddock a travaillé auprès d’eux dans les années 1960, produisant des articles très riches, mais pas de volume concernant spécifiquement la culture dalabon.
Précisions linguistiques
Comme toutes les langues non-pama-nyungan, le dalabon est une langue à préfixes. Les verbes prennent des préfixes qui marquent leurs sujets et objets, alors que dans les langues pama-nyungan, ce sont des suffixes qui remplissent cette fonction. Une autre caractérique que le dalabon partage avec les autres langues de la famille gunwinyguan, et d’autres familles proches, c’est d’être une langue polysynthétique. Cela signifie que les unités qui font sens dans cette langue, les morphèmes, peuvent d’ajouter les uns aux autres en grand nombre, selon des règles précises bien sûr, pour former des mots très longs. Le dalabon pousse cette pratique encore plus loin que d’autres langues voisines. En outre, les morphèmes ne sont pratiquement pas modifiés lorsqu’ils s’associent entre eux : ils s’enchaînent pour ainsi dire les uns avec les autres, comme les pièces d’un jeu de Lego.
Parmi d’autres particularités très intéressantes du dalabon, on trouve un système de préfixes et de pronoms qui permettent de signaler des distinctions généalogiques entre les personnes dont on parle. Ainsi, en dalabon, je dirai burrah-ngun pour dire que mes deux sœurs sont en train de manger, mais keh-ngun pour dire que ma sœur et ma mère sont en train de manger. La langue marque ainsi l’alternance des générations entre les deux personnes dont il est question.
Quelques mots de dalabon
walu-no [waluno]: la loi absolue, l’ensemble des règles qui régissent le monde
nayunghyungki [najuŋɁjuŋɡi]: les ancêtres mythiques
wirridjih [wiriȡiɁ]: tabou(s)
yang [jaŋ]: la langue, le discours, le propos de quelqu’un
kirribruk [kiribɹuk]: vrai, réel, sincère, juste, généreux
wokan [wokan]: parler, raconter, nommer, évoquer, communiquer
men-no [mɛnno] la conscience, l’ensemble des idées d’un être vivant
biyi [bi:]: homme(s)
kirdikird [kɨɖɨkɨɖ]: femme(s)
wurdurd [wuɖuɖ]: enfant(s)
wurrhwurrungu [wurɁwuruŋu]: les anciens
wadda-no [wat:ano]: campement, « chez soi »
Sources, liens, bibliographie
EVANS, N., F. MERLAN et M. TUKUMBA, A First Dictionary of Dalabon. Maningrida Arts and Culture: Bawinanga Aboriginal Corporation.
PONSONNET, Maïa. 2009. « Aspects de la subjectivité intellectuelle en langue dalabon (Australie du Nord) ». Revue en ligne Texto! Dirigée par François Rastier (CNRS). Traduction française en ligne, parution original dans Australian Aboriginal Studies 2009(1)
Site d’Austlang (en anglais)
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