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Une expérience scolaire bilingue guarani/portugais au Brésil
Posté par Andréa Eichenberg le 2 mai 2011
Andréa Eichenberger est anthropologue-photographe et doctorante en anthropologie. Son doctorat s’effectue en cotutelle internationale de thèse entre l’Université Paris Diderot et l’Universidade Federal de Santa Catarina, au Brésil, qui travaille sur la construction d’une auto-image indigène dans le village guarani Yynn Morotĩ Wherá.
Qui parle guarani au Brésil ?
Les Guarani forment le plus grand contingent de population indigène du Brésil, avec environ 30 000 représentants, répartis dans 7 Etats brésiliens.
La tendance est aujourd’hui au bilinguisme guarani-portugais, parmi les jeunes en particulier : le guarani est ainsi parlé au quotidien dans les villages, alors que la langue portugaise est adoptée surtout lors des contacts avec les non-indigènes.
Cela étant, une partie des locuteurs est encore monolingue. La plupart des personnes âgées, en particulier, ne parle pas, ou peu, la langue de la société dominante. Le monolinguisme est aussi une des manifestations de résistance à l’assimilation des valeurs des autres cultures.
Quelle est la place officielle des langues indigènes dans le pays ?
L’officialisation des langues indigènes reste une initiative minoritaire et ponctuelle, mais le portugais perd néanmoins depuis peu sa place de langue officielle exclusive.
Quelques villes brésiliennes ont fait un premier pas en ce sens, comme par exemple la municipalité de Tacuru, au Mato Grosso do Sul, qui a officialisé le guarani comme deuxième langue, et la municipalité de São Gabriel da Cachoeira, dans l’Etat d’Amazonas, qui, en plus du portugais, compte trois langues officielles : le nheengatu, le tukano et le baniwa.
Par ailleurs, grâce aux luttes des populations indigènes et des associations qui les ont soutenues, la dernière Constitution Fédérale, en 1988, a reconnu à ces populations un droit à la différence.
Dans le domaine de l’éducation, notamment, elle assure le droit à un enseignement scolaire spécifique, interculturel et bilingue. C’est ainsi que l’école a pu rentrer dans les villages indigènes après avoir été longtemps vécue comme stigmatisante à cause des échecs de l’insertion dans le système scolaire national.
Le cas des Guarani du village Yynn Morotĩ Wherá
En 2006 et 2007, j’ai eu l’occasion de travailler à l’école indigène du village Yynn Morotĩ Wherá (« Reflet des Eaux Cristallines »), dans l’Etat de Santa Catarina, au sud du Brésil.
Là-bas, mes interlocuteurs guarani estimaient que les enfants ont besoin de comprendre le « monde des blancs » pour défendre quelques droits fondamentaux, comme le droit à la terre, par exemple. L’école a donc été implantée dans la communauté à la demande de ses leaders pour que les élèves autochtones acquièrent les connaissances des djuruá (blancs). La langue portugaise devait être un simple instrument de négociation, et sa présence devait être contrôlée, afin qu’elle ne prenne pas au bout du compte la place du guarani. Ce point n’est pour le moment pas difficile à faire respecter, la plupart des enfants arrivant encore à l’école sans connaître le portugais.
L’autre but de l’école est la maîtrise de l’écrit et de la lecture en langue guarani, qui est de fait présente tout au long du cursus d’éducation, tant comme matière en soi que comme langue d’enseignement des autres disciplines.
L’une des conséquences est que ce qui était généralement transmis de manière orale commence à être écrit. En 2008 et 2009, les deux premiers volumes bilingues guarani-portugais de la collection intitulée « Contributions à la revitalisation de la culture guarani » ont été publiés, le premier traitant des mythes et légendes, et le deuxième des rituels et croyances. Certains mythes ont même été retravaillés sous plusieurs formes : textes, dessins, mises-en-scène, films et photographies. L’école devient ainsi un lieu de promotion de la revitalisation culturelle.
Un système de scolarisation parfait ?
Au bout du compte, on peut cependant se demander si cette nouvelle école, apparemment si ouverte et nourrie de bonnes intentions, ne comporte que des aspects positifs. Certes, elle propose d’utiliser des processus d’apprentissage propres à ces populations, d’introduire la pratique de leurs langues et de transmettre leurs connaissances et savoirs traditionnels. Mais quand l’Etat met sur pied un système scolaire bilingue, on peut aussi se demander si ce n’est pas une façon masquée de marginaliser les langues indigènes et d’imposer, finalement, la présence de la langue portugaise, afin de renforcer une certaine unité linguistique nationale.
D’ailleurs, Il faut souligner que certains chercheurs (anthropologues, éducateurs, linguistes, historiens etc.) qui ont participé à la formation des enseignants guarani et qui étaient en grande partie très favorables à la revitalisation de la culture, se posaient continuellement la question : « est-ce que ce que nous sommes en train de faire est vraiment une bonne chose ? »
Si l’on considère le cas des Guarani par exemple, ils ont pendant longtemps résisté à l’apprentissage du portugais, mais ce monolinguisme natif glisse progressivement vers un bilinguisme guarani/portugais.