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Le multilinguisme en République de Sakha (Yakoutie)
Posté par Natalia Bochkareva le 30 mai 2011
Natalia Bochkareva est étudiante en master “Etudes Arctiques” à l’université de Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines. Elle est originaire de la République de Sakha (Yakoutie).
Située dans le nord-est de la Sibérie, la République de Sakha, ou Yakoutie, est la plus grande des Républiques de Russie. Elle représente un cinquième du territoire national, avec 3 millions de km2 pour… 949 800 habitants (chiffre 2009) sur les 142 millions (chiffre 2007) que compte la fédération.
Une république multiethnique
La Yakoutie figure parmi les régions multiethniques de la Fédération Russe, avec ses 5 communautés autochtones : Yakoutes, Evenkis, Youkaguirs, Tchouktches et Dolganes. Terre d’immigration au sein de la fédération, on y trouve aussi près de 120 autres groupes ethniques : Russes, Ukrainiens, Tatars, Bouriates, Biélorusses, Arméniens, Bachkirs, Azéris etc.
Le bilinguisme officiel de la petite république se caractérise par la cohabitation de deux langues nationales : le sakha (yakoute) et le russe. Ces deux langues ont le statut de langues d’État, alors que les langues des communautés autochtones plus restreintes bénéficient d’un autre statut officiel garanti par la Constitution de la République de Sakha.
Des langues autochtones menacées
La reconnaissance de ces langues autochtones ne signifie pas que leur pérennité soit assurée. Elles subissent en effet un déclin régulier, qui passe par un processus d’assimilation que la linguiste Tamara Andreeva (Identity & Language) explique ainsi :
– “Une variété de dialectes parmi les populations du nord, qui a poussé certains groupes à opter pour des langues plus communes afin de faciliter les échanges inter-ethniques.
– Une population éparse dans le nord, avec de nombreux groupes ethniques de langues différentes vivant à proximité les uns des autres. Les Evenks, par exemple, vivent en petits groupes entourés d’autres entités ethniques dont la langue est différente, le tout sur un territoire très vaste. Leur langue a donc subi l’influence des langues voisines, au détriment du développement de leur propre langue.
– Le rôle prépondérant de la langue russe. Principal vecteur de communication au sein de la société russe, son statut dominant a fortement influencé les langues des peuples autochtones.”
Pour compléter ce dernier point, sans doute le plus important, nous ajouterons que le russe est devenu langue de pouvoir, car c’est la langue de l’éducation et celle de l’emploi. Nombreux sont donc les membres des communautés autochtones qui ont délibérément mis leur langue maternelle de côté dans l’espoir d’accéder à ce pouvoir.
Il faut enfin prendre en compte le fait que les langues de Yakoutie ont beaucoup souffert à une époque où les membres de communautés autochtones devaient vivre en famille d’accueil, et étudier dans des établissements spécialisés loin de leur environnement d’origine.
Des efforts dans l’éducation et la recherche
Depuis le début des années 1990, l’État a adopté plusieurs dispositifs censés accroître le nombre de locuteurs des langues autochtones, notamment des programmes scolaires encourageant leur enseignement.
Des écoles nomades pour les enfants des communautés les plus petites ont également vu le jour. Elles accueillent à la fois enfants et parents dans un cadre de vie “nomade”, contribuant ainsi à la sauvegarde des langues et d’un mode de vie traditionnels.
Les enseignants sont formés à l’Université Fédérale du Nord-Est à Yakoutsk
Sur le plan de la recherche, on citera aussi l’Institut en Recherches Humaines du département Sibérie de l’Académie des Sciences, qui travaille sur la diversité linguistique, ethnographique et culturelle de la République de Sakha.
Mais malgré les programmes scolaires, les programmes de recherche et un certain intérêt des médias pour les langues minoritaires, le problème du déclin des langues autochtones de Yakoutie reste entier puisque le nombre de leurs locuteurs continue de baisser chaque année. La République de Sakha, avec ses deux langues d’État et ses quatre autres langues officielles, fait face à un défi capital : enrayer le déclin de ses langues autochtones pour freiner le déclin de sa culture.