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La traduction comme outil nécessaire au plurilinguisme
Posté par Astrid Guillaume le 21 janvier 2011
Astrid Guillaume est vice-présidente de l’Observatoire Européen du Plurilinguisme et maître de conférences à l’Université Paris-Sorbonne.
Aujourd’hui dans le monde, on dénombre quelques 6800 langues : impossible de maîtriser 6800 langues, ni même une centaine d’ailleurs, 10 vies humaines ne suffiraient pas pour y parvenir. Mais n’en apprendre systématiquement qu’une seule qui serait l’anglais représente un danger, si les autres langues perdent en visibilité en étant moins apprises et si le tout-anglais uniformise la planète sur le plan linguistique et culturel. L’enjeu est donc désormais de protéger, comme des organismes vivants, toutes les langues et cultures du monde, en favorisant le plurilinguisme.
Mais qui dit plurilinguisme dit aussi nécessité de traduire. Après la langue elle-même, la traduction est en effet le premier outil universel de communication. De tous temps et dans des contextes civilisationnels variés, la traduction a permis à l’Homme de mieux comprendre l’Autre tout en permettant à sa langue d’exister.
Dans l’histoire de l’humanité, le traducteur et l’interprète ont toujours joué un rôle hautement diplomatique et stratégique, ainsi qu’un rôle de transmetteur du savoir. La traduction a marqué fondamentalement l’histoire des échanges humains aussi bien dans la constitution des Etats, dans les mutations religieuses, dans la diffusion mondiale de la culture que dans la sauvegarde des langues moins diffusées.
Sur le plan politique, par exemple, la traduction a joué un rôle important au IXe siècle lors du partage de l’empire de Charlemagne : ses deux petits-fils, Louis-le-Germanique et Charles-le-Chauve, décidèrent de passer un accord pour réclamer à leur frère Lothaire leur part de l’héritage. Ils firent ainsi rédiger, en 842, les Serments de Strasbourg dans les deux langues de leurs peuples respectifs : le tudesque pour le peuple de Louis-le-Germanique, et la langue romane pour celui de Charles-le-Chauve. On le voit, s’adresser et écrire dans la langue de l’autre était alors déjà compris comme un acte politique fort pouvant contribuer à un processus de paix.
Sur un plan plus culturel, des gloses ont permis de déchiffrer et décoder bien des langues oubliées à diverses époques. La traduction s’imposait déjà chez les Égyptiens et les Mésopotamiens 3000 ans avant Jésus-Christ. Et c’est ce qui a permis à Jean-François Champollion de déchiffrer au XIXe siècle la fameuse pierre de Rosette : gravée en trois langues, cette pierre a ouvert les portes de la compréhension des plus beaux édifices égyptiens, en dévoilant au cœur de ses sillons hiéroglyphiques, démotiques et grecs les nouvelles fonctions d’un certain Ptolémée appelé à régner sur la haute et basse Égypte en 196 avant Jésus-Christ.
La traduction a donc considérablement participé à l’établissement puis à la diffusion du patrimoine historique, culturel et scientifique de l’Humanité.
C’est pour ces raisons et ces enjeux que l’Observatoire Européen du Plurilinguisme veille et œuvre en faveur de la représentativité des langues dans la société et les instances officielles, de la maîtrise de deux, voire trois langues ou plus, et de l’utilisation systématique de la traduction. Car quand on cesse de traduire puis de parler une langue, elle meurt, et c’est alors un peu de l’histoire de l’Humanité qui disparaît avec elle à tout jamais.
Le plurilinguisme et sa corollaire la traduction sont les outils de communication transdisciplinaires d’hier, d’aujourd’hui et de demain, qui respectent le mieux les langues et cultures du monde.